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Portrait

La bergere et son tapissier

Je suis née en 1795, à Paris, près de l’Hôtel des Invalides. C’est un ébéniste parisien qui m’a conçue en bois de hêtre, chevillée, habillée de soie dorée, parée de clous dorés ! Un long corps, un coussin moëlleux, des accoudoirs fermés, j’étais faite pour accueillir les lecteurs… Ah comme il était attentionné pour sa bergère, mon ébéniste ! J’ai vécu une enfance choyée puis ai fait mon entrée dans le monde…

Les élégantes, les élégants, et aussi leurs enfants, je les ai cotoyés avec discrétion et tendresse lors de leurs lectures et de leurs conversations au coin du feu… Une vie paisible… Les années ont passé, j’ai connu leurs petits enfants et les enfants de leurs petits-enfants. Je suis restée dans ma famille. Bien sûr, il y a eu les petits accidents de la vie, une tasse de thé m’a brulée un jour, et l’on m’a habillée de soie de couleur. J’ai bien aimé ce changement, la modernité !

Aujourd’hui, j’ai fait mon check up. J’ai plus de 2 siècles quand même ! Ma famille m’a emmenée chez l’ébeniste qui m’a regardé sous toutes les jointures, démontée et rassurée. Il fallait juste traiter mon bois : ça me faisait un peu peur…. mais ca y est, c’est fait, et maintenant, je suis de nouveau solide comme une jeune bergère ! Place à la séance d’habillage avec Nicole Grillon. Elle est tapissier ! Moi aussi je suis une élégante, je serai parée de lin à rayures !

Ce matin, je suis arrivée chez Nicole : j’ai un peu froid, je n’ai que mon bois de hêtre sous la peau… Elle me mets des sangles en jute très serrées qu’elle fixe avec des semences (une semence c’est un peu un clou, mais le tapissier utilise le clou comme décoration, je vous montrerai plus tard…). Au dessus des sangles, elle tend une toile forte puis un lit de crin de cheval. Elle me met en forme en piquant le crin avec une ficelle de lin et un carrelet (une drôle d’aiguille courbe). Comme je suis une bergère, elle crée une cuvette pour qu’une fois installé pour lire, on ne glisse pas. Sacré coup de carrelet !

Pendant que Nicole me redonne figure bergère, je souris à mes neveux les cabriolets et les voltaires qui attendent leur tour à l’atelier. Ils sont beaucoup plus jeunes que moi et seront mis en forme avec de beaux ressorts à spirale. Parfois je les envie pour cette modernité ! Puis je pense avec plaisir au beau coussin tout neuf que je vais recevoir. Chacun son style !

Ca y est, Nicole m’a redonné une forme de bergère 1795. Elle est en train de coudre le tissu avec un tout petit carrelet : une couture invisible, et elle me maquille avec un galon et des clous de couleur. J’aimerais me regarder dans la glace…

Je me sens prête à rentrer chez moi, à retrouver ma famille, à entendre l’histoire du soir avec les enfants lovés entre mes bras…

Les voilà ! Merci Nicole, au revoir !

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